Sur les terres oubliées des Petites Iles de la Sonde
Sur les terres oubliées des Petites Iles de la Sonde
La vallée des Aït Bouguemez
Il y a quelque chose de l’Himalaya ou de la cordillère des Andes dans ces vallées d’altitude qui profitent de quelques ruisseaux, gonflés dix jours par an, pour maintenir une agriculture de jardinier méticuleux, persévérant, souvent à plus de deux mille mètres d’altitude. Vue d’en haut, c’est-à-dire d’une montagne à peine plus élevée, la mosaïque des champs, ingéniosité du parcellaire qui profite du moindre bout de terre arable pour donner abri à une semence, est un hymne à la vie.
Ces vallées devraient être, en toute logique géologique et météorologique, un désert pour insectes et rongeurs destinés à nourrir quelques oiseaux de proie. Or elles offrent des pulsations vertes qui s’insinuent, s’infiltrent, se faufilent entre les roches, les à-pics vertigineux, tel un animal géant qui cherche une issue. Oasis sans palmiers, presque sans eau, accablées par tous les écarts de températures. Les noix remplacent les dattes.
L’épi d’orge ne compte pas trente grains. Sur des aires à battre les céréales, des bourricots étiques piétinent les gerbes, lui font rendre gorge, tel qu’on le voit sur la photo prise à Timmit, où un jeune garçon « touille » les gerbes avec une ardeur saisissante, tandis que son père conduit l’attelage. C’est l’autarcie parfaite. Avec évidemment ses limites pour les femmes et les hommes.
C’est pourtant le plus attachant des pays. Le plus difficile à parcourir parce qu’il faut suivre les lignes de niveau les plus accablantes.
Un monde qui joue avec les repères, non parce qu’il n’est pas hospitalier, au contraire, mais parce que c’est sa nature : dépouillé. Proie potentielle des semi-nomades venus de l’est qui reluquent les excellents pâturages de printemps. La guerre des moutons, ce n’est pas une billevesée. C’est toujours un risque car les assaillants venus du djebel Saghro ne sont pas mieux lotis par la nature.
Aghbalou.
La moisson est effectuée très tôt, les femmes portent aussitôt les lourdes gerbes sur l’aire de battage, on ne distingue plus que leurs pieds. Le travail est toujours collectif, c’est un facteur essentiel de cohésion sociale
Aghbalou, les sources en berbère. à près de 2 000 mètres, on distingue l’aire à battre en haut à droite.
Le dépiquetage se fait avec quatre ânes et une vache, conduit cette fois par deux fillettes.
J’ai choisi cette image d’un village parce qu’elle est prise de la terrasse où je dormais, les nuits les plus froides de ma vie, chez mon ami Mohammed Achari, enfant du village et homme de bonnes aventures qui, le premier, a conduit les guides venus de Chamonix à l’assaut du M’Goun. Un village en fragments de rucher dont les « abeilles » sont les plus efficaces du monde.
Une paysanne conduit une vache maigre mais en bonne santé.
Tabant.
Encore ? On peut prendre dix fois ce même village jamais sous le même angle : j’y ai fait trois longs séjours. Tabant est exemplaire par son absence de signes particuliers : ce n’est pas un village de carte postale pour illustrer « les cent plus beaux villages du Maroc » (il y en a des milliers !), c’est l’expression d’une vérité quotidienne.
Ighririne.
Après l’orage. Trop d’eau à la fois et jamais assez de pluies régulières
Tabant.
La cousine de Mohammed Achari cuit le pain dans son four pour tout le hameau, une demie douzaine de maisons. Le pain, apporté chaque matin, est marqué d’un signe distinctif : chaque femme prépare chez elle sa kesra pour sa famille.
Iglaouane.
Un des hameaux, construction en terre aux terrasses pas forcément adaptées à la météo.
Comme un visage étonné…
Cette fillette m’a souvent vu cette semaine-là. Je ne serai jamais un proche, mais je ne suis plus un étranger : elle en profite. Alors que sa mère avait préparé le henné, Elle avait mis les mains dans le plat et, mutine, me montre le résultat plus tard.
Tabant.
J’étais assis, tranquille, guettant les mouvements infinis que le vent, vif à cette altitude, provoque dans les herbes encore grasses de la fonte des neiges, agitant une houle fleurie. Fin juin, c’est le début de l’été dans les montagnes préservées des Aït Bouguemez, au coeur de l’Atlas. Puis j’ai vu une touffe d’herbes bouger différemment, plus vite : elle n’allait pas dans le sens des autres, elle allait quelque part ! Alors, comme dans un film, apparaît insensiblement « le » personnage : sous la botte de foin qui grandit, un visage se détache, puis une silhouette se dessine… Elle entre en scène. Elle file aussitôt, le troupeau n’attend pas. Qu’on ne se trompe pas, ce qui paraît une brassée d’herbes est un lourd ballot. La beauté naturelle de la bergère ne doit pas faire oublier la dureté de la tâche exigeante. Beauté qui me fut donnée quelques secondes.
Femme partant à un mariage avec sa fille.
Sidi Moussa.
La pyramide est parfaite, il faut l’observer de près pour découvrir, couronnant son sommet, un grenier forteresse, structure typique du pays des montagnards berbères. Si chacun récoltait ses champs, les réserves étaient mises en commun et solidement gardées. Si le grain ne meurt… La seule pente en glacis pouvait décourager les pillards ou les hommes de main d’un caïd trop gourmand. Mais, pour assurer la consommation de printemps, la fameuse « soudure », un gardien veillait. Chacun allait se servir selon ses besoins. L’homme veillait jour et nuit dans ce garde-manger qui n’a pas d’équivalent ailleurs. À ses pieds, les futures récoltes…
Au pied de la colline de Sidi Moussa, un baise-main matinal. Nous sommes dans la vallée heureuse.
Le muezzin appelle à la prière : il ne sera sans doute pas remplacé par une sono. Sa voix retentit loin dans la vallée et son écho se propage.
Tabant.
Le marché du dimanche : un vrai marché de montagne, avec des produits essentiels. Rien que des hommes pour faire les courses, comme souvent. Une femme, adossée à la terrasse, leur tourne le dos. Ci-dessous, superbement vêtue pour aller à une fête, une jeune fille de quinze ans jette un regard derrière la fenêtre. C’est Fatima, la fille de mon ami Achari.
Le travail des femmes et les taches des enfants
Construction d'une maison en pisé et pierres
Les cascades d'Ouzoud
Beni Mellal
Beni Mellal.
C’est le temps fort de la fête des moissons chez les Zaïan. Forcément, on pense à Delacroix. J’étais juché sur le toit d’une voiture et les cavaliers fonçaient sur moi, contre le vent, développant une poussière âcre qui m’obligeait à pivoter pour protéger l’objectif. J’avais une demi-seconde pour les fixer dans ce brouillard de sable qui les mangeait : irréel. Masquant efficacement les trois mille spectateurs. Les centaures sont seuls dans mon rêve.
Vers la route Impériale